Les rouleaux de paille

Huile : 65 x 50

C’est Suzette qui avait choisi et loué ce dernier étage mansardé pour embraser notre amour sucré toujours. Le confort était rudimentaire mais quatre meubles jaunes, trois posters de jardins sauvages, deux chaises cirées et un tapis peut-être d’orient avaient complété le banal. Et puis on voyait le ciel.
Couette et nuisette à fleurs bleues, nid chaud, broderies anglaises, les câlins sont rose bonbon, Suzette est rose rosette, un petit pot de terre ocre brune abrite deux pensées enlacées dans leur pourpre, rougissantes de leurs audaces.
Les pigeons au-dessus du toit et nous au-dessous du toit on roucoulait, Souchon nous chantait sa rive gauche, Suzette est rose houppette.
Peu d’argent et beaucoup d’amour, malmenés le proprio et le sommier geignaient.
Au début de l’hiver, quand la bise et la date furent venues, nous décidâmes de privilégier l’andouillette frites de la brasserie voisine au règlement des loyers, on ne voulait pas finir déplumés. Un catalogue des Trois Suisses calait maintenant le pied du lit, manquait les pages des tentes de camping qu’on étudiait. Renaud nous chantait son mistral gagnant, la nuisette est violette, Suzette est rose crevette.
Mais vint mai.
Août out !
Ce matin un boucan, un tintouin, ça tremble de partout, une poussière, une odeur ! A l’entrée, sur le chemin terreux, presque engagée, une grosse machine approche, on était bien nichés là tous les deux, notre trou à nous, à l’abri des épis. Le monstre vient dénudant les alentours, on se prend le soleil plein les yeux. Monsieur et Madame perdrix vont devoir déménager, s’envoler s’ils ne veulent pas finir déplumés.
La sale bête avance toujours, rouge de colère, progresse à grands coups de sabres, elle broute, elle dévore, les blés sont happés, taillés, rasés, les rouleaux de paille sont formés, le champ est déplumé.
Il en fallait bien un.
Suzette est rose paillettes.