Le champ de blé

Huile : 81 x 60

Il pensait : quand on naît, on est tout petit, c’est normal, on naît quand on est petit.
Parle-moi comme tu le ferais si j’avais 3 ans.
Raconte le seau, la pelle, gazouille, fais-moi la raie à droite et des chatouilles, mets-moi du sent bon, rebâtis le château de sable que la mer a cassé et qui m’a fait pleurer pour que je l’écrabouille en rigolant.
On dirait que ça peut encore m’amuser mais oublie le pas beau, les crottes dans le nez et le : « t’as fait caca dans ta culotte », ça me gêne.
On devient plus grand, heureusement pour sa maman et les marchands de vêtements. Encore pas trop, on est moyen, on est vif, turbulent, toujours en mouvement, galopin galopant.
Parle-moi comme tu ferais si j’avais 10 ans.
Claque la bulle de chewing-gum qu’elle se colle sur les joues et aussi dans les trous de nez, dis des ectoplasmes, des bachi-bouzouks et des marins d’eau douce, je vais ressortir le sac de billes et les calots de verre. Je te prends sur une partie de pyramides. Retrace la marelle, fais glisser la boîte de cirage que je remonte au ciel.
On dirait qu’on peut encore se bidonner mais oublie le vilain, les crapauds qu’on faisait fumer et le grand curé qui m’avait tapé, ça me gêne.
Trois poils et des boutons plus tard, on est adolescent, pubère, tête à l’air.
Parle-moi comme tu ferais si j’avais 16 ans.
Flirte-moi, fais-moi des twist again, rebranche donc le juke-box, fais vibrer la rengaine. Commande les laits fraise et reviens avec Paul Anka fermer les yeux sous la boule qui scintille au plafond.
On dirait qu’on peut encore se bouger, mais oublie ce que j’ai raté, ça me gêne.
Parle-moi comme tu ferais si j’avais 20 ans.
Retrouve le champ de blé, recouche le lit de blé.
On dirait qu’on peut encore caresser l’été.
Parle-moi comme si j’étais encore vivant.
On dirait encore un frémissement, mais oublie ton : « alors pépé, tu t’es encore oublié, t’as encore fait caca dans ta culotte ! », ça me gêne.