La terrasse

Huile : 55 x 46

Il n’y a rien à faire, chaque jour c’est la même chose, elle me réveille de ses caresses, sa bouche à mes oreilles, des minauderies, caresses subtiles qui effleurent, caresses pulpeuses qui s’enfouissent, des gratouillis. Elle est vraiment portée là-dessus, et moi qui ne suis pas du matin. Bon je vais encore me laisser faire.
Petits déjeuners, petites toilettes, elle se fait belle, qu’elle est belle ! Elle me dit de faire le beau, et la voilà qui m’annonce une sortie, et qui chante sur la radio, sur Claude François, et qui m’invite au restaurant, et qui m’asperge de son parfum en riant. Cela me rend grognon, je vais encore avoir mal à la tête. Elle est si belle, je deviens bête.
Nous y voilà, c’est ce que je redoute le plus : la banquette du restaurant et ce mélange du Numéro 5 de chez Chanel que je traîne comme un boulet et le fumet du magret de canard qu’elle a choisi. Elle me dit que je suis bien là, me propose de goûter à son plat. C’était sûr, j’ai mal à la tête. Quel gâchis, on aurait pu manger sur la terrasse, il fait si beau.
Maintenant les mets arrivent en rafale sur toutes les tables, un méli-mélo insupportable d’odeurs, et aussi celle du client précédent qui a laissé sur le siège des relents de mâle malpropre malodorant. Cette proximité m’écœure et me perturbe. Moi qui flaire une chienne en chaleur à trois kilomètres ! J’ai mal à la tête, je rêve de la terrasse.
Et ce grand couillon de serveur en quête de pourboire qui lui demande mon nom ! La honte ! L’année du C, elle m’a appelé Colibri. Pour un fox-terrier descendant d’aïeux grands chasseurs de renard, j’ai l’air intelligent. Elle n’a rien trouvé d’autre ! En C les chiens du quartier à l’humour mordant eux ils ont trouvé cul-cul, connard et colibric-à-brac. Et pire quand je reviens du toilettage avec l’air d’une vieille brebis bichonnée pour le bal des débutantes. J’ai un mal de tête !
Ouf, elle règle l’addition ! Comme d’habitude je ne vais pas jouer à faire semblant, comme d’habitude ma queue trahit ma joie, rien pour le grand couillon. Allez, on repart vers la vie, la vraie, les crottes à étudier sur le chemin du retour, peut-être quelques flaques, un peu de boue, et le plaisir voluptueux de repisser aux quatre coins de ma terrasse. Wouah, wouah !