Les cocottes en papier

Huile : 35 x 27

Sur une plage normande envahie de méduses, j’ai vu un type étrange se placer dos à la mer et lâcher d’un panier trois gros rats qui ont filé sans hésitation se réfugier trente mètres plus loin dans le trou du mur. L’homme les a récupérés et a recommencé ce tiercé plusieurs fois.
Il connaissait bien ses bêtes, j’en fus médusé.
Après la dernière course, il les a récompensées de boulettes, puis en riant, a fabriqué une cocotte en papier qu’il leur a donnée à déchiqueter.
Sur une plage bretonne vantée et ventée, j’ai vu une famille indienne d’au moins vingt personnes débarquer, dérouler un immense tapis de maison épais, et s’y installer pour y manger, au milieu des vacanciers étonnés. J’en fus estomaqué.
Pour calmer un bébé qui pleurait le patriarche barbu a confectionné une cocotte dans une serviette en papier. Il l’a agité, le loupiot a ri.
Il connaissait bien son petit.
Sur une plage antiboise abondamment bondée, j’ai vu une jeune hollandaise, allongée, tête calée dans la main gauche pour lire, se rouler un joint de sa seule main droite. Elle m’a stupéfié.
Le soir, je l’ai retrouvée en bordure de mer, proposant aux passants un étalage de feuilles pliées, artisanales et animalières, avec des cocottes de toutes tailles.
Elle connaissait bien le papier.
Je ne fréquente plus guère les plages, l’embrun m’a lassé, je suis devenu homme d’intérieur.
Dans mon vaste séjour, j’ai aménagé mon coin télé. Derrière le poste, j’ai collé un poster, vue mer, ciel bleu permanent. Sur le sol, retenu par des pierres, j’ai étalé une bonne épaisseur de sable rapporté patiemment de Cabourg sur seize week-ends par sacs du Huit à Huit.
Au milieu, sous un parasol rouge trône une chaise longue à la toile bleue et blanche. J’y passe beaucoup de temps. L’ambiance est chaleureuse, la crème solaire inutile. Je zappe parmi les chaînes documentaires pour y trouver des images de plages. Je suis comblé.
Sur quelques seaux en plastique colorés et retournés, j’ai exposé mes cocottes en papier.
Je connais.