Marché de Coulommiers

Huile : 73 x 54

La fenêtre du petit appartement donnait sur la rue du marché, alors les jours de marché, on voyait le marché. On était bien perché là-haut tous les deux, Juliette et moi. C’était décidé, je n’irai plus avec les copains au café.
Après deux mois d’amour, d’eau fraîche et de petits plats, Juliette s’était mise à passer pas mal de temps à la fenêtre et surtout les jours de marché, je m’interrogeais. Je la savais gourmande, alors pour la garder, sur le marché je suis allé. J’ai erré d’étal en étal, pris conseil, soupesé, senti, j’ai potassé, et instruit et inspiré j’ai cuisiné. Assez doué, j’en ai usé, imaginé, j’ai tenté de l’épater.
Tout l’hiver je l’ai gâté, elle a goûté, aimé, apprécié ou critiqué, critiqué. Elle était mon palais, le palais de notre modeste demeure. Je devançais ses envies, je guettais ses soupirs.
Je la réveillais dans les éclaboussures de chocolats mousseux et brûlants, elle s’étirait et bâillait devant des palettes de confitures et de marmelades colorées. Je la couchais sur des crèmes onctueuses, sur des lits de miels délicats. Elle devait se relever pour donner son avis sur un assaisonnement ou sur une sauce elle-même relevée.
Elle bougonnait mais semblait bien profiter…
La valise m’avertit. Posée dans l’entrée elle attendait, gonflée de son arrogance.
Surgissant, fougueuse et bien nourrie, Juliette la saisit, me dit adieu, et m’expliqua que Jules le boucher, avait la viande la plus tendre, si je voyais ce qu’elle voulait dire. Je ne compris pas vraiment, puis compris tout à fait et la regardais par la fenêtre s’éloigner, de sa démarche arrondie, vers la macreuse, la poitrine, la bavette et les rognons.
Le temps a passé, deux mois je crois, mars et avril sûrement. Je suis retourné au café mais les copains s’étaient tirés. Mince, Jules le boucher ! Trois verres après, il s’est confié.
Il me dit comment Juliette lui parlait de moi, de mes bons petits plats : de mes omelettes incroyables, de mes gratins incomparables, de mes paupiettes irréprochables, de mes quiches, de mes tartes, de leur croustillant qui la troublait, de mes soufflés qui s’envolaient, de mes marinières qui naviguaient, de mes feuilletés, de mes papillotes et de leur odorant strip-tease, et puis encore …
Alors lui, Jules le boucher il a essayé de lutter et s’est appliqué à cuisiner. Il y a mis tout son amour et beaucoup d’énergie, il lui a montré ses plus beaux morceaux.
Elle comparait avec moi et se moquait.
Le soir après leur dîner et leurs ébats, elle s’épanchait, se souvenait de mon tour de main. Il se relevait noter, pour ne rien oublier.
Il a acheté trois cahiers, en a rempli deux, écrit bien serré, et cuisiné, cuisiné.
Elle se moquait.
Et le dernier cahier, il ne l’a pas entamé car hier dans l’entrée, la valise attendait, gonflée de son arrogance. Juliette aussi avait gonflé.
Il l’a suppliée, s’est agenouillé, lui a ouvert son four et montré le tendre rôti qui s’y chauffait dans un jus frémissant d’épices rares et mystérieuses.
Insensible, elle lui expliqua, et là, sans se moquer, qu’un jeune restaurateur venait de s’installer, à portée, et que son jarret était irrésistible, s’il voyait ce qu’elle voulait dire.
Jules et moi on a parlé, longtemps, sa voix est chaude et captivante. On n’est pas pressé, on est bien là tous les deux. Il veut me montrer sa jolie cuisine, c’est tout à côté, rue du marché.