Le théâtre municipal

Huile : 73 x 54

Le radiateur semblait généreux, gonflé, rassurant, rutilant de ses vieilles peintures, mais sa mine était trompeuse, ce comédien me faisait peu d’effets, j’étais frigorifié.
J’habitais une pièce, une seule, et petite, et assez vide, chaque hiver, obstinée, elle refusait les degrés. De nombreux passages d’air sifflaient allègrement un arrangement pour harmonica, certes intéressant pour un mélomane, je l’étais moyennement. La mélodie devenait curieuse quand elle se mêlait aux basses qui dégringolaient de la chasse d’eau du voisin du dessus. Un bourrelet aurait été plus nécessaire au bas de ma porte qu’au haut de mes hanches, j’étais transi.
– Que voulez-vous monsieur ?
– Que voulez-vous monsieur ?
En recherche de chaleur je marchais de large en large, l’exigu n’a pas de longueur. J’allais de large en large, bref je piétinais, je répétais, la charentaise j’usais, son fourré déjà maigrichon ne verra pas le printemps.
La sonnette geignit.
– Que voulez-vous monsieur ?
– C’est le calendrier des éboueurs avait simplifié un brave homme.
Il avait, je crois, apprécié le ton de mon interrogation, la clarté de mon élocution, le placement de ma voix. Je lui expliquais avec lyrisme et en claquant des dents mes revenus insuffisants, mes amours décevants, mon dernier mal de dents, lui présentais tragiquement les escaliers et lui proposais les six étages à redescendre ainsi que ma deuxième réplique : « Monsieur, voilà votre Maître d’armes qui est là. » Il ne comprit pas vraiment, à tout hasard, il remercia.
C’était le moins qu’il pouvait faire, six étages à grimper, même élevés, pour une prestation de cette qualité, mon spectateur avait été gâté, en première mes deux interventions dans les scènes I des actes I et II du Bourgeois gentilhomme, Madame Culture bien que grelottante était passée.
« Monsieur, voilà votre Maître d’armes qui est là. » Que je l’avais bien dit ! J’avais tout donné, je pensais ma fièvre tombée, mes frissons étaient devenus émotion.
L’air frais était entré, du presque tiède s’était échappé, l’hiver le chaud se rebelle, il rêve de retrouver la rue, sa confiance est dure à gagner, j’étais gelé.
En habit de velours, ce soir à 20 h 30, au théâtre municipal, le premier laquais sera superbe, j’y serai magnifique. Admirable et admiré, je me réchaufferai sous les feux de la rampe.