Le café rose

Huile : 73 x 54

J’ai ouvert le dictionnaire au hasard, je suis tombé sur le mot hasard. Sur cette page qui commençait de façon harmonieuse par le mot harmonieusement j’ai aussi vu l’harmonium et la harpe, j’ai même pensé les entendre qui me chantaient Paris, alors je suis sorti.
J’ai cru prendre le métro et j’ai pris la rue. Un refrain m’a accompagné, il était de Francis Lemarque. Il m’a pris par la main et m’a entraîné vers le mouvement, les odeurs et le bruit.
Le long de mes pas les trottoirs filaient, les rues défilaient, dans les caniveaux l’eau coulait. Alignements des demeures, fouillis des vitrines, tournis garanti.
Vendeuse du kiosque, rousse et rigolote qui propose ses yeux, son sourire et les nouvelles du monde, je te prendrai Géo, magazine qui dit aujourd’hui illustrer Paris.
Les rues défilaient, Gambetta, Ménilmontant, Pyrénées, Belleville, le canal Saint Martin, le boulevard Magenta, celui de Barbès, la rue Custine, et celle de Caulaincourt…. Et puis les escaliers de la Butte…Un air d’accordéon m’a rythmé leur montée, Piaf m’a rattrapé.
Sur mon chemin, un café à la façade rose, comme intimidé par notre rencontre à ce croisement des rues pavées des Saules, de l’Abreuvoir et de Cortot.
Vieille connaissance le troquet rose, je t’ai brossé il y a quelques années. D’une photo, j’avais fait un tableau. J’ignorais où tu étais, que tu faisais le beau, perché à Montmartre, tout là-haut.
Je m’y assois, j’ai de l’émoi, moi. Je ne me souviens pas de ma première gorgée de bière, de ma deuxième non plus, mais en sirotant la troisième, j’ouvre mon Géo en son milieu et j’y vois, moi, déjà rempli d’émoi, en double page centrale le café flambeur et flamboyant de ses roses.
Je suis installé dans le décor de mon tableau et dans celui de Géo !
À ma dernière gorgée de bière, le patron qui m’apprend qu’Utrillo, ici, a séjourné et a peint le café. J’ai osé barbouiller sur les traces de l’artiste. J’ai comme l’impression d’avoir passé une deuxième couche profanatrice.
Si le patron refait son ravalement en bleu ou en vert, je reverrai peut-être ma toile, pour le moment je garde le café en rose. Je peux même m’y faire figurer en train de déguster une seconde bière à la santé des peintres de la Butte.