Le café de l’union

Huile : 73 x 54

– Cours Rintintin ! criait le petit caporal pour lancer son magnifique berger allemand au secours du blessé, de l’opprimé ou du pauvre en danger. Rintintin, c’était le héros d’un feuilleton télévisé des années 1950 à 1960, une sorte de Robin des Bois à poils.
J’imagine la tête du mec au comptoir du café en réel danger à son quatrième coup de blanc du matin qui voit Jobard le vieux labrador empucé du patron bondir sur le zinc, repousser le breuvage d’une patte autoritaire et tendre de sa gueule odorante et cariée, au buveur ahuri, la carte de l’association des alcooliques anonymes.
– Bravo Rintintin !
Une musique entraînante annonçait la suite, une trompette criait sous le chapiteau du cirque Pinder. L’orchestre perché de la Piste aux Etoiles nous avançait l’émotion.
Roger Lanzac présentait le fameux labrador Jobard.
Défraîchi, déglingué mais enrubanné de strass de paillettes et de perles il fait son entrée par le tunnel réservé aux grands fauves. Aveuglé par les projecteurs, une papatte devant son œil coulant, il avance, conquérant, prenant déjà possession de son public. A son arrivée dans la cage il secoue quelques croûtes de pelade qui éclaboussent en scintillements le sable de la piste.
Le silence s’imposait, le silence se fit.
Roulements de tambour… Roulements de tambour qui se poursuivent… Et encore…
Alors, surprenant le blasé, d’un double saut périlleux, le labrador Jobard effectue un rétablissement acrobatique sur le comptoir sans rien faire tomber, emprunte aux clients leurs verres à demi pleins et offre un numéro de jonglerie en première mondiale et sans filet. Les tasses, chopes et ballons partent en tourniquet vers le plafond fissuré dans un manège organisé. Pas une goutte ne tombe, les soiffards applaudissent, l’artiste salue bien bas malgré ses douleurs articulaires.
– Arrête de te gratter ! nous réveille le Jobard et moi.
Le patron n’aime pas le cirque.
Je racle le fond caramélisé de mon café en recherche de douceurs. Lui dans un geignement étire sa vieille carcasse et entreprend claudiquant sa flânerie amicale en quête d’une caresse ou mieux, d’un morceau de sucre.