Amsterdam

Huile : 65 x 50

J’ai senti l’Amsterdamer dès que je suis entré. Le gars tétait gentiment une pipe fatiguée embaumant les tolérants du comptoir du bistro d’Eugène. Moi je me suis collé sur la banquette similicuir grenat, j’avais envie d’une blonde hollandaise, j’ai réclamé. Le brouhaha et les odeurs aidant, j’ai commandé un voyage de dessous les paupières, la Gare du Nord s’est présentée, ça mènera bien jusqu’à Amsterdam.
Il pleut, il pleut par habitude, pas fort, tranquillement, un voile sur les canaux qui estompe les bâtisses pas bien droites. Des quais, des pavés, j’ai choisi ce bar. Les fumées ont patiné les murs, le parquet hors d’âge accroche le pied. Liesbeth me sourit, chevelure dorée, et ses yeux ! Elle fait un café long et doux, on n’aime pas trop, puis on aime. Dehors des vélos patientent sur un petit pont arrondi, Liesbeth me parle d’Amsterdam, je sors pour voir jusqu’à très loin, là où des péniches avec du linge et des fleurs sont amarrées. Je reviendrai.
J’ai bien aimé le début de l’histoire, cœur alerté, petit émoi.
Liesbeth me reconnaît, ses yeux rient, son café est chaud, long et doux et si tu goûtes son gâteau son sucre t’envoûte. On est bien, dehors il pleut, s’il ne pleuvait pas tu serais moins bien. Les vélos attendent encore, de l’autre côté les maisons bancales et étroites se soutiennent pour ne pas tomber. Liesbeth me raconte Amsterdam, je sors pour voir jusqu’à la maison de Rembrandt. Je reviendrai.
J’ai bien aimé cet extrait, trouble programmé.
Liesbeth me connaît maintenant, ses yeux brillent, son café est brûlant. Il pleut, la pluie est installée, ici elle est chez elle. Les vélos sont toujours là. Sur la buée du carreau je décalque du doigt les maisons d’en face, les équilibristes maladroites. Liesbeth s’amuse des traits et des formes, doigts effleurés, charmeuse charmée qui m’explique Amsterdam, je sors pour voir jusqu’à des passerelles inconnues. Je reviendrai
J’ai adoré ce moment, frissons, enivrement.
Liesbeth ne m’a pas regardé, une autre femme est avec elle, des hommes boivent des bières, elles les servent, elles donnent à manger, elles sont gaies, les hommes aussi, elles versent à boire, elles se frôlent, amoureuses. Les hommes sont grands, les plafonds sont bas, les hommes sont adroits et ne se cognent pas, Liesbeth et son amie s’embrassent souvent. Le café est froid, les vélos sont partis.
J’aime moins cette fin, chagrin.
– Tu bois pas ton demi ? me dit Eugène en me caressant la cuisse. Mince Eugène !
Encore une petite contrariété, dehors il commence à pleuvoir.