L’entrée du village

Huile : 46 x 33

Ce qui m’a attiré c’est une odeur d’herbes brûlées qui en provenait. Pourquoi ai-je pris ce chemin ? D’accord, il venait après un autre, mais dès l’abord je ne m’y suis pas bien senti, d’ailleurs, il ne sentait rien. Je m’étais trompé. Il pourrait sentir au moins le thym ou le romarin, mais là rien. Après tout je m’en fous des odeurs.
Petit à petit le silence s’est fait, plus de sons. On pourrait entendre encore un bruissement, un clapotis, un bourdonnement d’abeille, un chant d’oiseau, non rien. Après tout je m’en fous des bruits.
Peu à peu les couleurs se sont estompées, ternes l’herbe et les fleurs, ternes les cailloux, la terre, le ciel. La transparence gagne. Il pourrait rester une esquisse de vert, de mauve, de brun, non rien. Après tout je m’en fous des couleurs.
À regarder de plus près je découvre que plus rien ne bouge, plus de bestioles. Pourrait encore frétiller un petit morceau de mouche ou de vermisseau, non rien. Après tout…
Et j’avance, j’avance, des kilomètres dans un paysage insensé vide de sens, moi vidé de mes sens. C’est interminable, triste et plat, bientôt les formes se désagrègent, disparaissent, je suis maintenant dans une sorte de vide cotonneux, l’image n’est plus composée que de petits points noirs et blancs. J’ai chaud, je frissonne, je flotte, je ne sais plus, le doute s’installe, l’angoisse s’invite.
Là-bas un éclat, une lueur, un lent déplacement. Je cours vers elle, vers lui, un escargot bleu tendre, jaune pâle. Il est technicien me dit-il, spécialiste des choses anormales sur chemins. Il dit pouvoir me ramener. Je le grimpe délicatement sur mon index, d’une corne il éclairera la route, de l’autre il indiquera la direction.
Nous partons dans ce néant vaporeux. Sa coquille devient alors palette et lance en feu d’artifice des touches de tous côtés redonnant couleur et animation sur notre passage. On dirait que l’ordinaire revient. Quelques bizarreries dans les teintes, des formes approximatives, des animaux et des plantes hybrides, des bruits singuliers. L’escargot spécialiste me dit que bientôt tout rentrera dans l’ordre, que le monde ne s’est pas fait en un jour. Nous continuons à l’ombre d’un papillon cumulus qui nous abrite de ses ailes géantes, géniales, généreuses.
Enfin cette gentille route et une entrée de village éclairée et douce comme un tableau que j’aurai aimé peindre. Un homme vient au devant de moi.
– Je suis bien content de vous voir, me dit-il, j’ai eu la trouille de ma vie, une étrangeté, je vais vous raconter… Le temps qu’il commence, l’escargot technicien s’est effacé. Reste dans ma main une télécommande arc-en-ciel.
– Réveille-toi, me secoue ma femme, j’ai appelé Darty, tu t’es endormi devant la télé, elle en a profité pour tomber en panne cette cochonnerie ! Une odeur de cramé, et puis plus de son, la couleur qui fiche le camp, plus d’image, il n’y a plus que des petits points noirs et blancs. Pendant ce temps, Monsieur dort !