La remise à bois

Huile : 50 x 40

Le bois, il te chauffe trois fois : quand tu le coupes, quand tu le ranges, quand tu le brûles. Parfois ça peut être quatre fois.
La petite tronçonneuse fraîchement déballée roulait des mécaniques, son mode d’emploi indiquait la technique d’abattage de l’arbre, commentée avec méthode et précision. Cependant, il avait bien fallu apprivoiser la bête. Sauvageonne s’il en fut plusieurs grattages de bougie s’avérèrent nécessaires, le fauve aimait se faire tripatouiller.
Un merle pas encore moqueur, soprano lyrique du quartier et témoin de la scène s’écarta prudemment des loges vers le poulailler.
Dans une fumée bleue et parfumée vint le rugissement. Les décibels avertirent tout être vivant à la ronde que ça allait barder. Les voisins se tourmentèrent du coin du rideau, craignant pour leur grillage plus que pour mes doigts. Les deux étaient pourtant en danger.
Le gros orme, je l’ai repéré à me toiser du haut de son arrogance, desséché mais hautain, presque dédaigneux.
Pourtant, de loin, il ne faisait pas énorme mais déjà en approchant, il devenait inquiétant et alors au pied j’ai compris que je m’attaquais à un monstre, le champion du monde de mon bosquet.
Le prendre par surprise ne l’a pas surpris, il est dur et résistant comme un vieux boxeur, il encaisse sans broncher, c’est le Marcel Cerdan de mon bosquet. Tant pis, Édith Piaf va encore pleurer, je veux une victoire par KO, j’ai le style, j’ai la classe, j’ai rendez-vous avec la gloire, à moi la une de l’Équipe.
Une heure plus tard j’ai enfin entamé le moral de l’adversaire. Je tourne autour de lui, le saoule de coups, par petites touches, le travaille au corps avec acharnement, je sens venir la fin, il hésite, vacille et gémit. J’ai étudié sa chute scientifiquement, je vais être le nouveau tenant du titre de mon bosquet
J’ai bien pensé qu’il se coucherait à gauche mais pas à gauche au point d’aller prendre ses aises sur le coin de mon toit dans un craquement bizarre.
Maintenant le silence surprend, les plus grands carnages ont du finir dans le feutré. L’orme et moi on est là comme deux couillons, abattus tous les deux.
Le merle franchement moqueur se réinstalle sur une branche elle-même installée sur mon toit.
Il me reste, penaud, à débiter le vaincu, car le fût fut, à ranger son bois mort dans un coin de remise, et à aller acheter une bonne vingtaine de tuiles.