Les noix et la noisette

Huile : 46 x 38

– Vide tes poches ! Colombo avait deviné à leur formes gonflées qu’elles étaient pleines. Sept ans, j’extirpais de mes doigts imprudemment brunis par leur ramassage une dizaine de noix, ce qui ravit le maître d’école. La blouse de l’instit’ remplaçait l’imper du policier mais le flair était le même, quel talent ! Monsieur Blaison, blouse grise donc, cheveux plaqués sur l’arrière, nez légèrement couperosé, grosses mains, bien noté de l’inspecteur, peut-être directeur avant la retraite.
Monsieur Blaison était souriant mais sévère, normalement il m’aimait bien, je le croyais, j’étais premier ou deuxième de la classe. Monsieur Blaison il ne passait sur presque rien. Un jour de dictée, arpentant les allées, ar ti cu lant avec soin les mots, surveillant par-dessus nos épaules notre orthographe, il remarqua sur ma page une faute en cours de formation. Ne me laissant aucune chance de corriger la maladresse, lâchement, par derrière, sans que j’ai vu le coup venir, il m’asséna sur les deux oreilles une gifle inouïe, des deux mains, m’enserrant la tête dans un étau qui faillit m’estropier.
Le brave homme se voulait généreux, il donnait sans compter, il me permettait ainsi de réviser mes cathédrales. J’entendis pendant plusieurs jours les cloches de Reims, Chartres, Rouen, Amiens, Lisieux, Strasbourg et Notre Dame de Paris me remplir la tête de leurs bourdons lancinants. L’homme était brave mais un brin brutal. Je préservais à l’occasion mes tympans de fort peu, quoique j’entende maintenant moins bien.
– L’autre poche ! Sept ans, je m’exécutais et en sortis autant de noix, Sherlock Holmes avait pressenti que j’avais deux poches, quel métier !
Monsieur Blaison était très sévère, pourtant on aurait du s’aimer, j’étais deuxième ou troisième de sa classe. Monsieur Blaison il ne passait sur rien. Une fois, la seule fois où je fis une erreur grossière de calcul mental, il m’infligea la punition réservée aux cancres : tourner pendant le quart d’heure de récréation affublé d’un grand bonnet d’âne sous les quolibets des petits camarades compatissants.
Cet homme obligeant se voulait psychologue, il me permettait ainsi d’expérimenter mes réactions, de développer harmonieusement ma personnalité, d’adapter ma conduite face à l’hostilité d’un groupe. A l’époque je me défendais des moqueurs les plus acharnés par de timides coups de pieds. Je renforçais à l’occasion un équilibre comportemental un peu fragile quoique, maintenant, je me sente instable et suis souvent en analyses.
– Tu n’as rien d’autre ? J’ai sauvé une noisette, Eliot Ness ne l’aura pas, il peut se brosser le puncheur de CE1, elle est bien calée au fond de ma poche confondue à mes coucougnettes. Sept ans elles sont grosses comme des noisettes.
Le brave homme est mort à présent, avec les Palmes Académiques, je me suis bien vengé depuis, j’ai les coucougnettes grosses comme des noix, et lui ça fait un moment qu’il n’en a plus.