Le portrait

Huile : 55 x 46

En 1918 de retour des tranchées Ursule DURUL avait tranché, l’épreuve lui ayant forgé le caractère il serait forgeron. Pas épargné il se mit à le faire.
Tôt sur son marteau il s’activait, sur le soufflet, la tenaille et l’enclume, assidu à la tâche, il travailla, besogna et encore. Encore il besogna.
Pour ses 50 ans il voulut se faire faire le portrait et se rendit un beau dimanche d’été à la ville voisine distante d’une quinzaine de kilomètres.
Le projet était pensé de longue date et préparé avec soin. Le vélo astiqué, lui rasé à l’écorchure, savonné, costumé, repassé, pantalon pincé sur la cheville, il fit le trajet dans l’aimable fraîcheur du petit matin, précautionneux à éviter les trous et les poussières des bas-côtés.
9 h, à l’ouverture il était le premier,
Préparé, repeigné il fut photographié,
Pas peu fier, à la caisse, il dut alors passer,
Gêné, vexé, sur lui la honte allait tomber.
Lui, Ursule DURUL, si appliqué, si réfléchi, il avait oublié son portefeuille !
Rouge, bouche sèche, il s’excusa. Rien ne l’aurait arrêté, il décida d’aller rechercher l’argent et ceci dans la matinée, le commerce l’après-midi étant fermé.
10 h sur la pédale le voilà employé,
10 h 30 il ahane, peine et sue, entêté,
11 h la chaîne cède, il terminera à pied,
Il réparera, c’est dit à son atelier,
11 h 30 mécanique changée, lui obsédé.
Vite, vite avant midi il devra arriver.
Trop tard, les volets de la boutique étaient accrochés et sur l’un d’eux cet avis : fermeture pour congés annuels du 2 au 23 août, chers clients à bientôt.
Affligé il s’en retourna sans éviter les bas-côtés. Août le vit se morfondre, teint grisâtre, sans ardeur, poignet mou, braise tiédasse, torturé par la dette.
Le mardi 24 août, il reprit la route, mollets tendus, chaîne graissée. Il pleuvait. Sur la porte du magasin un faire-part de deuil était affiché : le tireur de portrait était décédé. Ursule repartit donc, accablé, crotté, trempé. La nuit fut blanche.
Il revint le lendemain par grand vent s’enquérir de l’enterrement. Il apprit qu’il aurait lieu le jour suivant. Il y fut, vélo astiqué, lui rasé à l’écorchure, savonné, costumé, repassé, pantalon pincé sur la cheville.
Il croyait pouvoir rembourser la femme du commerçant mais dans la peine et les pleurs il ne le put. Rongé, miné, il rentra et traîna sa misère tout le jeudi.
Rageur, le vendredi, il refit le chemin, vélo astiqué, lui rasé à l’écorchure, etc… À la porte il tapa, appela… la veuve lui ouvrit. Peu farouche, seins tentants, disposée, elle lui apprit qu’elle connaissait d’autres façons d’éponger une dette.
Il refusa, se refusa, la paya et récupéra sa photo qui le montrait moins marqué.
L’histoire fit le tour du canton. On l’appela alors Dudu l’assidu du dû.