Les Échevins

Huile : 65 x 50

Depuis un bon moment, le long poil qui lui dépassait de l’oreille la gênait terriblement. Comme une envie irrésistible de le lui arracher. De le lui arracher, il ne le voulut pas, elle se décida pour le foie gras.
Il lui suggéra d’autres jeux, des moins cruels, des plus plaisants, profita des canapés servis tièdes pour lui proposer le sien de canapé, chez lui, velours rouge sang, et choisit des harengs.
Déjà sur les entrées il y avait divergence.
Chacun mangea. Dans le restaurant : chuchotements et cliquetis de couverts.
L’assiette à peine terminée, elle lui reparla de son poil agaçant, il ne lui répondit même pas. Alors vinrent les plats: pour elle le feuilleté léger, pour lui la grosse oreille de cochon avec un reste de poils encore apparents… décidément. Elle ricana.
Sur les plats aussi il y avait discordance.
Chacun mangea. Dans le restaurant : conversations entamées, couverts heurtés.
En attendant les desserts, sans illusion, il lui raconta son canapé, sa profondeur, son moelleux, son toucher. Elle l’ignora. Elle voulait arracher.
Pendant sa crème brûlée, elle lui recritiqua son poil dégoûtant, pendant son baba il lui revanta son canapé. Il voulait caresser, bisouiller, dorloter puis l’étreindre et l’allonger avec volupté sur le velours du canapé. Elle voulait arracher, arracher.
Sur les desserts également il y avait différence.
Dans le restaurant : échanges animés, un verre est tombé, il s’est cassé, le serveur venu le ramasser s’est coupé, peut-être les pompiers.
Installés dans le silence, ils ne prirent pas de cafés. Il paya, l’au-revoir fut précipité, les bises claquées.
Rentrée chez elle, sommeil agité, envies de câlins, rêves coquins, petits regrets, solitude programmée.
Lui, devant son miroir à s’épiler.