La bouffe (hommage à Serres)

Huile : 55 x 46

– Alors ça vous a plu ? nous nargue Sylvie en allant chercher le café.
Tiens, un petit renvoi ! Le mieux c’est de le garder en bouche pour ne pas le partager. Ce sont les cacahouètes, à chaque fois je me fais avoir. Je les démarre pourtant en douceur, bien élevé, je picore, mais ça finit toujours en grosses poignées irréfléchies. La caouète, on croit que ça éponge l’apéro mais dedans elles surnagent sûrement, paresseuses, elles doivent faire la planche façon nénuphars sur un lac anisé… Ne jamais oublier de bien les mâcher.
– J’avais prévu des pistaches pour l’apéritif, je viens de les voir, j’ai oublié de les mettre, regrette Sylvie en versant le café.
Encore un renvoi ! Il y a un mélange : de la cacahouète c’est confirmé mais aussi du iodé. Ce n’est pas anormal, en entrée le clafoutis de la mer était robuste et copieux, pas du genre à danser le long des golfes clairs, et cette idée de mettre des bulots en accompagnement alors que le gastéropode est réputé taquin à la digestion. Je n’étais pas obligé non plus de manger toute la colonie, sans parler de la mayonnaise. Quand tu sais la difficulté à séparer cette bête de son rocher tu comprends mieux sa résistance à se laisser ingérer. J’ai essayé une fois, une seule sur un gros, un seul, un Breton, plaqué, indécent, ventousé à l’excès, j’ai cru qu’il faudrait un marteau- piqueur ou de l’explosif. J’ai abandonné, déprimé, les mains en sang… Ne jamais oublier que s’attaquer à cet animal est dangereux, tu rentres chez toi abîmé, inutile, aigri, plus goût à la vie, vaincu.
– J’ai hésité à garnir le clafoutis de bulots, finalement j’ai bien fait, ils ont eu du succès, et la mayo était maison, fanfaronne Sylvie en proposant un chocolat d’après café.
Le renvoi suivant c’est la choucroute. Peut-être un peu de jalousie entre la Strasbourgeoise narquoise et la Francfortoise sournoise ? Si tu goûtes l’une, ne dédaignes pas l’autre, sinon, fières et envieuses de reconnaissance régionale elles se déchirent, elles s’éclatent. Et si tu joues aussi sur la susceptibilité de la bière et du Gewürztraminer dans le choix de la boisson tu vas au devant du conflit généralisé… Ne jamais oublier de traiter les saucisses avec équité.
– Sur les conseils du charcutier j’ai ajouté du vin d’Alsace pour la cuisson de la choucroute, ça la gonfle et la bonifie, gonfle aussi Sylvie en offrant à présent une liqueur.
Pas de nouvelles du fromage, maintenant c’est la charlotte du dessert qui revient avec la composition précédemment appréciée : cacahouètes iodées au jambonneau sur lit de chou arrosé de sa Belge mousseuse. Ah si ! Les voilà les fromages, le duo irrésistible, le Coulommiers et le Pont-L’évêque, un aller-retour de la Brie à la Normandie, là il y a surtout le retour… Ne jamais oublier les risques des rencontres laitières hasardeuses.
Et voilà j’ai refait le repas et quasiment dans l’ordre.
– À la revanche chez vous, prédit Sylvie en nous tendant nos manteaux trop étroits.