Le bar espagnol

Huile : 80 x 80

Le bar espagnol : de Jean-Marie MONTOYA

Dans le port de Barcelone, tous les soirs, à 17 heures précises, arrive le bateau venant d’Ibiza.
Pedro est chargé d’aider à l’accostage et de placer la passerelle. Tout en aidant les passagers à descendre, il prend plaisir à découvrir leur nationalité et les salue dans la langue qu’il suppose être la leur. Mais son plus grand plaisir, c’est le vendredi quand débarque cette personne blonde, blonde comme sa femme est brune, et toujours vêtue d’une robe rouge. Ce soir-là, il quitta le port plus tard que d’habitude ; il n’était pas pressé de rentrer. Il voulait profiter encore de ces quelques instants de bonheur et échapper à la tristesse de son foyer : une femme aigrie par la misère journalière et cinq « hijos » comme il les appelait qui ne cessaient de brailler dans cet appartement trop petit.
En quittant le port, il remonta la « rambla », il aimait cette avenue animée et bruyante qui, disait-il lui vidait le cerveau. Quelques arrêts par-ci par-là dans les bars à « tapas », quelques olives, quelques morceaux de tortilla et quelques ballons de vin de la Rioja allaient le rendre prêt à supporter la soirée.
Mais, aujourdhui, Pedro n’était pas comme d’habitude. Le nombre d’arrêts allait être plus nombreux. Il prendra le chemin des écoliers. Comme la foule avait fini par l’étourdir, il prit une petite rue sombre et déserte. C’est là qu’il aperçut, assis sous un porche d’immeuble, un jeune aussi paumé que lui. Très vite, la discussion s’établit et ils refirent le monde.
« No tienes un puro » demanda Pedro. Sans répondre, le jeune homme sortit de la poche intérieure de sa veste un petit sac en papier kraft et roula une cigarette qu’ils partagèrent. La discussion devenait de plus en plus difficile.
Pedro alla pisser sous le porche et s’assit comme il le put en s’adossant contre le mur. Il fixa la lune qui finissait son dernier quartier et s’assoupit. La dame blonde était là et dansait un fandango dans sa superbe robe rouge.